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Espérer, une cosmogonie africaine du futur


© Aïda Amer/Axios.

Les raisons d’espérer nous renvoient à une plongée inédite, dont les générations anciennes, lointaines en un sens, n’avaient pas nécessairement eu le même besoin, elles qui baignaient dans les représentations, théories du monde, théodicées, que les sociétés s’étaient construites au fil du temps long ou qu’elles continuaient à dominer. Mais retrouver l’espoir et les raisons y conduisant suggérerait que les Africains redonnassent un sens à la totalité dans laquelle ils se meuvent, qu’ils nommassent le monde afin de s’y sentir autochtones à part entière et non pas immigrés perpétuels à la condition, aux ethnonymes et toponymes définis de l’extérieur. Habitant d’un lieu étrange sous un jour sans fin étranger.


C’est en liant l’univers entier à leur vie quotidienne, spirituelle, culturelle, scientifique, économique, politique, ludique que les Africains se saisiront de leur existence, de leur espérer, suivant différentes raisons. C’est donc d’une pratique et d’une somme de connaissances, discours et regards à réinventer, à ré-originer, que l’espérer pourra s’écrire et se dire en raisons africaines.


Comment serait-il possible d’espérer autrement que passivement dans un monde intouchable, qui échapperait à ses vues et représentations, et qui se poserait nécessairement en une inconnue ou en un esprit malin sinon maléfique ? L’espérer se saisirait déjà à travers un ensemble de relations tissées entre toutes les constitutions et conditions présentes et les plus efficaces façons possibles de faire émerger un avenir rêvé. C’est-à-dire se donner une représentation globale du monde, de ses avant, pendant et peut-être après.


Le détour par les cosmogonies africaines, à l’exemple de celles assez connue des Dogons, des Egyptiens, des Bambara ou des Baluba du Kasaï parmi d’autres toutes enrichissantes, offrent aux producteurs de l’espérer une inestimable prise sur leur objet. Les Africains s’approprieraient ainsi l’univers, le qualifieraient dans sa totalité céleste, terrestre mais désormais familière. Et cette proximité retrouvée, génératrice d’affinités idéelles électives, sera propitiatoire à l’intellection de l’ensemble de la complexité du monde. Ceci préfigurant l’antichambre de l’innovation pour soi, de la créativité agissante et enracinée affrontant l’imprévu, l’inconfort ou le besoin latent ou présent. En effet les drames originaires, ceux de l’avant-monde, imaginent une configuration de l’univers, des planètes, de la terre, du soleil, des éléments fondamentaux. Par des procédures complexes, mêlant créations, génie, successions, défauts, jalousies, amours, insurrections, résurrections, vies avant la vie, les scènes des intriguent divines scénarisent sans le déterminer le monde terrestre. Arrimé à une vie céleste antérieure mais libre de ses mouvements, pour son bien ou sa perte, l’être humain est capable de lier la parole primordiale si lointaine et si proche à chaque activité banale éprouvée : métier à tisser, forge, tresse, guerre, palabres, etc. Un sens métaphorique surgit ainsi pour rendre raison au réel, avec des possibles d’espérer en toutes ses langues, identités, irréductibilités, projets.


Mais que dire de l’humain ici ? Et l’individu, indivis donc, ne serait-il de l’humain qu’une forme élémentaire voire … appauvrie vue à travers le prisme de l’ontologie peule ? Dans ce monde-là la personne est une multitude incarnée dont les orifices du visage représentent autant de portes d’entrée infiniment déclinables vers la complexité humaine. La personne humaine des Peuls et des Bambara, réceptacle de toutes les potentialités divines est l’interlocuteur du créateur d’une nombreuse «famille» céleste. Hampaté Bâ rappelle cette expression bambara : «Maa ka Maaya ca ayere kono» signifiant : «les personnes de la personne sont multiples dans la personne»[1]. Quelle conception des droits humains et des peuples pourrait émaner de ces cosmogonies et ontologies, reprises ou métaphorisées, actualisées, réinventées ?


Comment reforger une éthique commune, au mieux panafricaine à partir des imaginaires de la création, de l’Equivoque, des fraudes célestes, de l’harmonie nécessaire puisant aux racines de la gémellarité divine ? Comment équilibrer l’économie des choses en retrouvant les genres, mâle et femelle des objets, des événements, des astres, de chaque parcelle du vivant, afin d’envisager équité, répartitions, réparations ? Par quels processus et formes réinventer les connaissances propices au perfectionnement de l’humain, quelles initiations, quelles instructions ? Si l’espérer fœtal devait surgir de ses eaux primordiales, par les attentions de tous, chercheurs, penseurs, intellectuels, commentateurs, ergoteurs, son sentier devrait se frayer un passage, chaotique et impétueux vraisemblablement, en s’inventant son espace vital, son souffle, sa terre, son ciel. Une espèce, osons le néologisme, de moment épistémogonique inaugurerait une famille nouvelle de regards et d’approches de l’Afrique faisant place ici à une pensée assainie, décolonisée, régénérée par des catégories essentielles émanant des sources africaines réappropriées.


Ces raisons assemblées en disciplines, connaissances, questionnements et perspectives libérés, passés par le truchement d’une épistémogonie, refondatrice et créatrice, réplique discursive métaphorique tant du Noun égyptien que d’Eyo ou d’Ama, eaux originelles fang ou dogon par exemple, viendront constituer l’arche de l’espérer filant vers sa destination : le plus élevé des avenirs communs. Rassérénées par l’extatique passage ré-initiatique, les institutions africaines de sagesse, de sacré et de connaissances pétries, pourront aborder les nouvelles technologies de l’information liées sans contradictions aux plus anciennes des traditions orales et écrites dans l’éducation, l’administration, les délibérations électorales. Éclairées, elles envisageront le péril environnemental à conjurer comme un impératif de premier ordre et confectionneront les nouvelles générations de métiers à protéger la nature, inventeront des réparateurs de la planète, des nouveaux droits du vivant.


Alors les Africains, sites et espaces où les prédations les plus graves se seront exhalées des siècles parallèlement aux affirmations les plus péremptoires d’humanisme, pratiqueront et proposeront à tous, des politiques de justice et de réparations inédites et impensables en un sens par d’autres. L’intensité de l’exploitation des ressources du monde sera neutralisée par une représentation infiniment moins matérialiste du vivant, par la haute et incorruptible valeur des élites ayant retrouvé la lame univoque du sacré de leurs missions. Sensibles à la responsabilité africaine de gardienne de la biodiversité mondiale face aux dangers menaçant les écosystèmes, conscientes des risques d’épuisement des ressources, de leur usage à caractère génocidaire (l’arme nucléaire et l’uranium africain) incompatible avec l’Ubuntu[2] ou l’esprit de la Charte de Kurugan Fuga[3], les organisations panafricaines produiront les plus hauts standards politiques, écologiques et éthiques. Les politiques ubuntu seront disponibles sans annexion ni canons pour toutes les civilisations pour lesquelles la découverte du destin solidaire immanent de l’humain aura suggéré désormais de se poser en affirmant qu’«un humain devient un humain à travers les autres humains». Le Sanankuya, «arme» de pacification de l’empire du Mali sous Sundiata Keita, encore appelé Avusô chez les Fang-Beti d’Afrique centrale, restitué en «parenté à plaisanterie» pour les usages non-afrophones liera alors les Africains de part en part du continent et jusqu’aux diasporas d’Afrodescendants. Les plus sanglants affrontements, dans la zone sahélo-sahélienne, en Afrique centrale et australe, interlacustre ou dans la corne de l’Afrique, les guerres de pillages d’Orient et d’Afrique, le conflit israélo-palestinien, les terrorismes se prévalant de leur islam, les guerres sinophobes, dit sans exhaustivité, pourront trouver des apaisements notables par le recours aux arts et aux procédures des grands dialogues sacralisés et des Sanankuya réaménagés. Attentifs au sens de la vie et des responsabilités liés à leur compréhension du rôle de la personne humaine sur terre, les Africains porteront l’idéal d’une vie moins matérialiste, plus relationnelle, plus spirituelle. L’éminent juriste sud-africain, précurseur de la renaissance africaine qu’il appelait alors «régénération africaine», Pixley Ka Isaka Seme, dans le discours historique qu’il prononça le 5 avril 1906 à l’université de Columbia à New York et qui lui valut un prix d’excellence oratoire, n’avait-il pas annoncé que «La régénération de l’Afrique signifiait que l’Afrique allait ajouter une nouvelle et unique civilisation au monde»?. Et de terminer en affirmant que cette civilisation serait plus spirituelle et plus humaniste[4].


Infinies comme la création divine, les raisons d’espérer devraient incuber dans cet abri culturel réaménagé, décolonial et épistémogonique, et concourront par un inattendu faisceau d’imaginaires, à une ré-humanisation du monde en son merveilleux. A bon droit, elles «donneront la route» aux milles raisons de désespérer qui avaient fini par s’imaginer à tort, que leur séjour en Afrique, conforté par un épisode historique critique, leur avait conféré un droit de cité perpétuel. Muses et générateurs à la fois, ces raisons de désespérer apparaîtront, en temps appelés, comme les ultimes ruses des raisons d’espérer que l’effort démiurgique nécessité pour dissiper le désespoir, explosera dans une cosmogonie imprenable du futur.

[1] Cf. Bâ, Hampaté, Aspects de la civilisation africaine, Présence africaine, 1972. [2] Cf. Tutu, Desmond, No futur without forgiveness, 2000. [3] Cf. CELTHO, La Charte de Kurukan Fugan, Khartala, 2008. [4] Source : http://www.anc.org.za/show.php?id=4342


Martial ZE BELINGA (2015, Extrait de Des raisons d’espérer, non publié)

Co-fondateur d'Afrospectives




 
 
 

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